Décision de suspension de l’émission Andi Ma NKollek pour trois mois
Le Conseil de la Haute Autorité Indépendante pour la Communication Audiovisuelle ;
Après avoir pris connaissance de la Constitution de la République tunisienne, du 27 Janvier 2014, en particulier, les dispositions des articles 24 et 47 ;
Et après lecture de la Convention des Nations-Unies sur les droits de l’enfant ratifiée en vertu de la loi n° 92 de 1991, en date du 29 Novembre 1991 ;
Et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, en date du 16 décembre 1966 ;
La Loi numéro 92 de 1995, en date du 9 Novembre, 1995, relative à la promulgation du Code de protection de l’enfance, en particulier, les dispositions des articles 1 et 6 de celui-ci ;
La Loi n° 63 du 27 Juillet 2004, relative à la protection des données personnelles ;
Le décret-loi 115 de l’année 2011, en date du 2 Novembre 2011, relatif à la liberté de la presse, de l’impression et de l’édition ;
Le décret-loi 116, pour l’année 2011, en date du 2 Novembre 2011, relatif à la liberté de la communication audiovisuelle et à la création d’une Haute autorité indépendante pour la communication audiovisuelle, en particulier, les articles 5, 28 et 30 ;
Le document de l’UNICEF régissant les principes éthiques dans l’élaboration des rapports médiatiques sur les enfants ;
Et après avoir pris connaissance du rapport transmis à la Haica, par le délégué général pour la protection de l’enfance ;
Et après avoir pris note de la convocation adressée, sur la base de l’article 30, premier paragraphe du décret-loi 116 pour l’année 2011, au présentateur de l’émission ‘Andi Ma Nkollek’ et au représentant légal de la chaîne ‘Al Hiwar Ettounsi’, pour se présenter au siège de l’Instance, lundi 17 octobre 2016, à 15h00 ;
Et sur la base de la présence de M. Alaa Chebbi, présentateur du programme et de Me Abdelaziz Essid, à la place du représentant de la chaîne, le lundi 17 octobre 2016, à 15h00, au siège de la Haica pour donner leur version au sujet des violations relevées par le Conseil de la Haica en visionnant la dite-émission ;
L’émission susmentionnée de ‘Andi Ma Nkollek’, diffusée le 14 Octobre 2016, a traité du cas social d’une jeune fille, qui s’est avérée être âgée de 17 ans, donc mineure, selon le rapport du délégué général de l’enfance. Elle était victime d’agressions sexuelles commises par trois membres de sa famille. A la date de la diffusion de l’émission, la jeune fille était enceinte et fut chassée de la maison familiale par son propre père .
Et sur la base de constatations, par le Conseil de la Haica, de multiples violations dans le traitement du sujet, ayant nui à l’intérêt supérieur de l’enfant surtout par rapport aux aspects suivants :
- Le présentateur Alaa Chebbi a présenté la jeune fille, comme étant âgeé de18 ans, alors que la réalité était autre, si on se base sur le rapport du délégué général pour la protection de l’enfance qui souligne que celle-ci est encore mineure. Alaa Chebbi a essayé d’expliquer pourquoi il l’avait présentée comme majeure, par le fait que c’est à l’équipe de production que revient la tâche de rassembler les données relatives aux participants et qu’il n’avait fait que transmettre sans vérifier au préalable l’âge de la jeune fille.
- Le visage de la jeune fille a été flouté, mais elle pouvait être identifiée à cause de la présence son frère et de son père, et par le fait que son prénom a été mentionné à plusieurs reprises. Cette situation était de nature à lui causer des dommages sur les plans psychologique et social, et à l’exposer à la discrimination et à la stigmatisation.
La diffusion de données personnelles de la jeune fille constitue une violation des dispositions de l’article 24 de la Constitution tunisienne et de l’article 28 de la Loi fondamentale n°63 de 2004, relative à la protection des données personnelles. Dispositions qui stipulent que les données personnelles d’un enfant ne peuvent être divulguées, sans l’accord préalable de ses parents ou après l’autorisation du juge de la famille, surtout qu’au cours de l’émission, on a appris qu’elle a été renvoyée de la maison familiale par son père. La Haica n’avait rien qui puisse prouver que le présentateur avait reçu une autorisation dans ce sens, de la part du juge de la famille.
Le traitement du sujet tel qu’il a été abordé est en violation de l’article 6 du Code de protection de l’enfance, qui stipule que «chaque enfant a le droit au respect de sa vie privée, en tenant compte des droits et responsabilités des parents ou des tuteurs. »
Et comme stipulé dans l’article 60 du décret-loi 115 du 2 novembre 2011, relatif à la liberté de la presse, de l’impression et de l’édition , « sera puni d’une peine de prison, allant d’un à trois ans et d’une amende de trois mille à cinq mille dinars, celui qui divulgue des informations sur des crimes de viol ou de harcèlement sexuel contre des mineurs, quelque soit la méthode, en dévoilant le nom de la victime ou en révélant toute information pouvant mener à son identification ».
3-La teneur de l’émission en question constitue une atteinte à la dignité humaine, dans la mesure où le présentateur a remis en question le viol sur la base selon lui du rapport médico-légal, un document censé rester confidentiel. Il a imputé la responsabilité de ce qui est arrivé à l’enfant elle-même, en disant: «Pardonnez-moi, il y a là un problème. On peut comprendre que pour le premier violeur, elle n’a pu rien dire, parce qu’elle avait peur. Pour le deuxième, elle ne peut pas avoir eu peur une autre fois et craindre le scandale, mais on peut le lui pardonner. Idem pour le troisième, il l’a agressée et elle n’a rien dénoncé parce qu’elle avait peur du premier, du deuxième et du troisième ! C’est-à-dire des trois qui l’ont agressée, ça arrive quelquefois, mais pas à ce point quand même ! »
Ensuite, le présentateur finit par suggérer que la jeune fille épouse son violeur, en disant : « On peut clore le sujet et, si nécessaire, celui qui l’a engrossée, peut l’épouser ». Ce que peut être compris comme une incitation à l’impunité, sans compter l’impact de cette proposition sur la psychologie de la jeune fille et le sentiment de culpabilité que cela provoque en elle.
4- Dans sa manière de traiter un sujet aussi sensible, en l’occurrence le viol d’une mineure, le présentateur n’a respecté ni les règles professionnelles ni les textes juridiques relatifs à l’enfance en situation de vulnérabilité, bafouant ainsi l’intérêt suprême de l’enfant. L’émission s’est transformée en procès de la jeune fille qui, de victime est devenue coupable. Ce qui constitue une violation des principes généraux internationaux applicables dans le traitement par les médias de sujets en rapport avec des mineurs. Principes contenus notamment dans la Convention des Nations-Unies pour les droits de l’enfant et dans le document de l’Unicef régissant les principes éthiques dans l’élaboration des rapports médiatiques sur les enfants.
Après sa diffusion une première fois le 14 octobre 2016, l’émission a été rediffusée, au cours des journées du samedi et du dimanche, 15 et 16 octobre 2016, alors que la signalétique apposée sur le programme indiquait « -12 ans ». Ce qui constitue une violation des dispositions du chapitre 13 du cahier des charges relatif à la création et à l’exploitation d’une chaîne de télévision. Lesquelles dispositions prévoient, en effet, l’interdiction de la diffusion de ce genre d’émissions, toute la journée du samedi et du dimanche.
Après délibérations,
Le Conseil de la HAICA a décidé :
La suspension de l’émission ‘ Andi Ma Nkollek’, pour une période de trois mois à partir de la date de publication de la présente décision, et le retrait de la partie objet de cette décision du site électronique de la chaîne et de ses pages sur les réseaux sociaux. La partie de l’émission en question, constitue une violation flagrante au sens de l’article 30, paragraphe premier, du décret-loi 116 du 2 novembre 2011, et un manquement avéré des dispositions de l’article 5 du même décret-loi et des principes de la protection de l’enfance, de la vie privée et de la dignité humaine.
Pour la Haute Autorité Indépendante de la Communication Audiovisuelle
Le Président
Nouri Lajmi